L’arche de Noé est le projet d’un amateur, alors que le Titanic est un vrai projet professionnel.
— François Élie, président de l’ADULLACT
Il y a quelques jours, j’ai été mis en relation avec un organisme de formation à Paris (Pythagore FD pour ne pas les nommer) pour une formation Linux fin novembre. Ils m’ont envoyé leur programme par mail, j’y ai jeté un oeil distrait, et j’ai reconnu l’habituel bric-à-brac vaguement boulimique que certaines boîtes de formation appellent « bases de Linux ». Un joyeux mélange de notions et de compétences juxtaposées pêle-mêle, et dont la rédaction a probablement été confiée au stagiaire.
Dans mon quotidien de formateur Linux, j’ai l’habitude de ce genre de document. En règle générale, une première discussion avec les responsables de la formation permet de déblayer le terrain. Ce qui me facilite la tâche cette fois-ci, c’est que l’été dernier l’éditeur Eyrolles a publié le premier tome de mon ouvrage Administration Linux par la pratique, qui parle justement des fondamentaux de l’administration système sous Linux, en mettant l’accent sur la pratique sur les serveurs sous Red Hat Enterprise Linux et CentOS. Au sens étymologique de la chose, on peut partir du principe que cela me confère une certaine autorité dans le domaine, vu que le latin auctoritas désigne l’auteur au sens propre du terme. Bref.
Cet après-midi j’ai donc rappelé l’organisme de formation pour qu’on discute de quelques généralités et surtout pour mettre un peu de cohérence pédagogique dans le programme d’ailleurs bien trop ambitieux pour la durée programmée de cinq jours. J’ai eu Mme H. au téléphone, je lui ai posé les habituelles questions sur le contexte professionnel des stagiaires, les objectifs explicites de la formation, etc. J’ai proposé de lui faire parvenir un exemplaire gracieusement offert de mon livre, afin qu’elle puisse se faire une idée de mon approche axée sur la pratique des serveurs CentOS et Red Hat Enterprise Linux. Et j’ai eu droit à une surprise.
« Vous êtes gentil, mais franchement, votre livre ne nous intéresse pas. On connaît l’éditeur Eyrolles, bon, ils sortent plein de bouquins, mais vous savez, nous on a nos propres supports de cours rédigés par des pros de Linux, et d’ailleurs on ne travaille qu’avec des pros, donc je pense que ça ne va pas le faire. »
Ah.
J’avoue platement que j’ai été quelque peu perplexe pendant que la dame se drapait dans sa splendeur avec brio. Peut-être lui dire que j’ai formé les administrateurs des Autoroutes du Sud de la France (Vinci Autoroutes) sur les serveurs Oracle Linux et qu’ils ont trouvé cette formation « particulièrement intéressante et motivante », pour reprendre leurs propres termes. Ou alors mentionner que j’ai formé les admins de la Direction Régionale du Travail à Montpellier quand ils ont migré leurs serveurs sous Linux. Jardins d’améthyste enfouis sans fin dans de savants abîmes éblouis, ors ignorés, … (Stéphane Mallarmé, Hérodiade)
En fin de compte, je n’ai rien dit. J’ai souhaité une bonne fin de journée et j’ai raccroché.
professionnalisme, n. m. 1) caractère professionnel d’une activité (opposé à amateurisme)
2) forme subtile de brutalité (en région parisienne)
3 commentaires
Robert Dupras · 16 juin 2020 à 14 h 08 min
J’ai travaillé pour une entreprise dont le propriétaire était très exigeant sur « l’apparence » professionnel. Les habits, la coiffure et tout… Il exigeait un protocole de ses employés. Comme travailleur indépendant je convertissais ses machines Win en Linux. Sans trop vouloir juger, je trouvais que le patron gaspillait des ressources, sous toutes sortes de forme. Portant censé être une entreprise dans le domaine de la consommation responsable…. Ils ont développé et pris une grande envergure dans notre région le Saguenay au Québec. J’ai cessé de travailler pour cette entreprise de façon un peu abrupte après avoir osé dire un simple « non » au propriétaire qui voulait me faire posé des actions insensés, me faire gaspiller mon temps et son argent! C’était à l’encontre de mes valeurs au risque de perdre cette entreprise comme cliente j’ai soutenu mon non. Malheureusement pour tout ceux et celles qui avaient mis de l’énergie dans cette entreprise, il ont fait faillite l’an dernier.
Cela me fait penser au Titanic, du travail de pro… Merci, pour votre coup de gueule, c’est aussi une affirmation de valeurs, être cohérent c’est la vie. Linux est un projet qui perdure parce qu’il y a des personne qui maintiennent les valeurs sous-jacente. Merci pour votre travail!
Hugues · 15 décembre 2020 à 9 h 10 min
Salut,
Sur cette page aussi, le lien vers ton bouquin renvoie un 404.
Cordialement
kikinovak · 15 décembre 2020 à 9 h 34 min
Corrigé, merci.
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