Ce matin, ma tendre moitié m’a souhaité un joyeux anniversaire, ce qui m’a laissé quelque peu perplexe parce que je suis né en avril. « Joyeux anniversaire Microlinux ! » Aujourd’hui est donc officiellement un grand jour. Ma petite entreprise fête les dix ans de son existence.
Comment est-ce qu’on en vient à créer une entreprise spécialisée dans Linux et l’Open Source ? Pour ma part, c’est une passion au départ et un enchaînement de circonstances par la suite.
Informaticien passionné depuis les jours du processeur monoplatine et du Commodore VC-20, j’ai été initié au monde de GNU/Linux relativement tard, en 2001. Si vous êtes curieux, lisez le récit de ma découverte de l’informatique en général et des systèmes d’exploitation en particulier.
En 2004 je venais d’emménager à Montpezat, une petite circulade pittoresque dans le Gard, à mi-chemin entre Nîmes et les Cévennes. Une médiathèque était en construction dans le village, et parmi les nouveautés annoncées, il y avait une salle informatique avec des postes en accès libre pour les habitants. À l’époque, j’étais déjà un utilisateur passablement rodé de Linux, j’avais suivi une formation Administration Réseaux Linux à Montpellier, et je publiais régulièrement des articles pour la revue Linux Pratique.
Sur un coup de tête, j’ai rédigé un dossier sur les atouts du logiciel libre pour l’équipement des postes de la nouvelle médiathèque du village, et je l’ai envoyé spontanément à Bernard Compan, le maire de Montpezat à l’époque. L’eau a coulé sous les ponts du Vidourle et du Gardon. Et puis un beau jour de printemps 2006, Monsieur Compan m’a appelé et m’a demandé si on pouvait en discuter.
Le maire avait lu mon dossier avec attention, de la première à la dernière page. Ce que je ne savais pas, c’est qu’il était également président de la Commission Culture à la Communauté de Communes du Pays de Sommières. Il voulait savoir s’il était possible d’informatiser et de mettre en réseau les onze médiathèques de la Communauté de Communes en utilisant exclusivement Linux et des logiciels libres. À ma connaissance, l’application PMB était déjà utilisable en production, et pour les postes clients, CentOS constituerait un bon choix.
La mairie de Montpezat m’a embauché en 2006 pour une durée de deux ans, et à mon effroi ravi, j’avais carte blanche pour la plupart des décisions techniques de ce projet. Je devais mettre en place le serveur pour héberger PMB, un autre pour effectuer des sauvegardes, installer des postes de travail sous Linux dans toutes les médiathèques, et surtout former le personnel. Dans votre imaginaire, je parie que vous visualisez une image qui ressemble de près ou de loin à quelque chose comme ceci.
La réalité du terrain, c’est que pour les premières formations, j’ai dû former des adultes en utilisant des logiciels d’éveil à l’informatique destinés aux élèves de deux à dix ans. En effet, la plupart des bénévoles des médiathèques étaient des personnes à la retraite, dont la plupart n’avaient jamais touché un ordinateur de leur vie. La première chose qu’il fallait faire, c’était leur montrer comment on manipule une souris, et leur expliquer que pour éteindre un poste de travail, il vaut mieux éviter d’utiliser le bouton lumineux de la multiprise.
Partant de là, on a quand-même fait pas mal de chemin, et au bout de quelques mois de travail, les médiathèques étaient désormais opérationnelles. Jusque-là, les bénévoles passaient de longues heures à retranscrire manuellement les notices des nouvelles acquisitions dans des cahiers d’écolier. J’ai vécu un quart d’heure de gloire lors de la première démo de l’installation, lorsque j’ai pris au hasard une pile de livres que la médiathèque venait d’acheter. J’ai passé la douchette sur les codes ISBN de chaque livre, et grâce au protocole Z39.50 sous le capot, l’application de gestion des médiathèques récupérait automatiquement les notices complètes pour chaque ouvrage depuis les serveurs de la Bibliothèque Nationale. La transition des fiches en carton vers un système informatisé s’est faite progressivement, chaque lecteur avait sa carte d’abonné plastifiée dont le code barre était également saisi à l’aide d’une douchette laser.
Mon contrat avec la Communauté de Communes du Pays de Sommières s’est terminé en septembre 2008. La CCPS m’a proposé de créer ma propre structure pour assurer la maintenance des serveurs et des postes de travail. Pendant près d’un an, je suis passé par une phase de portage salarial, et puis j’ai décidé de faire le grand saut et de créer ma propre entreprise en 2009, avec un premier client assez important. Cette première expérience m’a montré que l’Open Source pour les professionnels, ça fonctionnait plutôt bien.
La toute première mouture du site web de Microlinux est encore en ligne sur Archive.org. Voilà à quoi ça ressemblait à l’époque. C’était du PHP fait maison, avec un logo confectionné par une amie infographiste et une collection de captures d’écran de CentOS 5.
Si je fais défiler ces dix dernières années devant mon oeil intérieur, qu’est-ce que je retire de cette expérience ? En vrac, quelques brins de sagesse.
- Le fait d’exister encore au bout de dix ans est probablement déjà un succès en soi. Au diable les Start-Up. On veut des Stay-There.
- Les erreurs que l’on a tendance à faire en début de parcours constituent un bon enseignement pour la suite.
- Quand vous êtes une micro-entreprise, beaucoup de clients apprécient justement le fait que vous ne soyez pas une grosse structure, ne serait-ce que pour la flexibilité, l’absence de bureaucratie et une plus grande disponibilité.
- Pour reprendre une phrase de François Élie, l’arche de Noé était l’oeuvre d’un amateur, alors que le Titanic était un vrai projet professionnel.
- Le plus important, ça reste de faire quelque chose pour le fun, comme on dit en France. Lorsque je passe des heures à peaufiner une solution de stockage réseau ou à faire fonctionner une configuration de monitoring réseau, j’ai à peu près le même état d’esprit que lorsque j’avais dix ans et que je jouais avec mes Lego.
Merci de votre fidélité. Il ne me reste qu’à souffler les bougies, en évitant d’allumer un feu de garrigue.
— Nicolas Kovacs (alias Kiki Novak)